La multiplication des lieux mémoriels érigés sur le territoire des États-Unis dans les récentes décennies a fait du génocide des Juifs une « douleur américaine ». L’œuvre de mémoire y semble désormais assumée par les espaces commémoratifs et les filières universitaires spécialisées. Le silence des arts dans l’après-guerre a progressivement cédé la place à un enracinement d’une ampleur telle que l’on peut parler aujourd’hui d’une centralité de la Shoah dans l’identité judéo-américaine autant que dans la conscience collective au niveau national. Quel usage les écrivains du continent nord-américain ont-ils fait de cette mémoire de « seconde main » ? L’institutionnalisation de la mémoire de l’événement semble avoir laissé le champ libre aux auteurs de fiction et aux poètes pour « recomposer » l’événement, pour devenir « metteurs en mots ». Issus pour la plupart des vagues migratoires anciennes, l’expérience génocidaire leur reste extérieure ; certains, cependant, enfants de rescapés, sont porteurs d’une mémoire familiale et la catastrophe historique est devenue pour eux catastrophe intime. La « mise en récit » est alors marquée par la tension entre approches possibles de l’événement : est-il objet d’histoire ou désastre métaphysique, doit-il être appréhendé dans sa littéralité ou peut-il devenir métaphore ? Les formes traditionnelles d’expression narrative (textes de fiction longs ou brefs, poésie) ont été expérimentées, mais également des supports inédits, tels le roman graphique et le scénario télévisuel, à l’impact national et mondial majeur. Pour respecter l’intégrité intellectuelle et éthique que requiert un tel sujet, le processus créatif doit inscrire le Désastre au cœur esthétique et moral de l’œuvre. Les écritures multiples examinées dans ce volume ont-elles su s’attacher à cette exigence et ainsi échapper aux tentations du sensationnalisme, aux dérives de la marchandisation et du spectaculaire ? Les auteurs, membres du Centre de recherche judéo-américaine de l’université Denis Diderot-Paris VII, explorent ici un choix de textes poétiques, des œuvres romanesques signées de Saul Bellow, Philip Roth, Paul Auster, Haim Potok, Ann Michaels et Martha Blum, des nouvelles de Cynthia Ozick, Melvin Bukiet et Steve Stern, l’œuvre graphique d’Art Spiegelman ainsi que les débats générés par la diffusion de la mini-série Holocaust et la mise en chantier des musées privés ou fédéraux consacrés à la Shoah. |