"Je suis tombé sur ce récit par hasard, il y a plusieurs années : je l'ai lu, relu plusieurs lois, et il ne m'est plus sorti de l'esprit." Qui parle ? L'un des grands témoins de l'horreur nazie, Primo Levi, l'auteur de Si c'est un homme. Ce récit qui ne lui "est plus sorti de l'esprit" n'est autre que cette Nuit des Girondins. L'auteur en est un historien hollandais, Jacques Presser. Juif, commis par les Allemands à enseigner dans un lycée juif, il a sans doute parlé à ses étudiants de cette nuit que passèrent ensemble les Girondins avant de monter à l'échafaud. Mais qu'est-ce que la guillotine à côté de ce qui attend les prisonniers du camp de Westerbork, avant qu'on les dirige, par sélections hebdomadaires, sur Auschwitz ? Une des particularités de Westerbork est que le personnel d'encadrement, une centaine d'hommes, est entièrement formé de Juifs, allemands et hollandais. A Amsterdam, on les appelle "les Juifs SS". Et ce sont ces "Juifs SS", parmi lesquels se laisse enrôler le héros de cette fiction, qui, pour préserver leur vie aussi longtemps qu'il sera possible, acceptent de faire le travail des bourreaux. Pour le soulagement du lecteur, le narrateur, n'en pouvant plus, gifle son supérieur hiérarchique et recouvre du même coup sa dignité. C'est au block disciplinaire qu'il écrit les feuillets que nous lisons. On comprend pourquoi ce récit, une fois lu, a hanté Primo Levi, et pourquoi il sera peut-être jugé scandaleux. "Mais il est bon, écrit encore Primo Levi, que les scandales arrivent car ils provoquent la discussion et éclairent les consciences." Elie Wiesel a remis en 1969 à Jacques Presser la médaille du souvenir des anciens de Bergen-Belsen pour son oeuvre d'historien et pour cette Nuit des Girondins traduite en plusieurs langues. |