L'avenir d'une négation. Les faits sont têtus, disait Lénine. Il avait tort : les faits sont précaires, dociles et corvéables. On peut, quand ils ne sombrent pas instantanément dans l'oubli, les accommoder à toutes les sauces : les plier aux volontés du dogme (en effaçant du réel les éléments qui contestent la vérité de la théorie - comme on l'a vu pour les camps staliniens), ou les absorber dans le ventre mou de l'opinion (selon le principe libéral du "à chacun sa vérité"). Entre langue molle et langue de bois, il est de plus en plus difficile de garder la mémoire. Depuis peu, le génocide juif lui-même ne fait plus exception à cette règle. Quand on ne nie pas purement et simplement ses modalités pratiques, on en conteste l'ampleur, ou bien on le dissout dans les horreurs de la guerre. Résurgence du fascisme ? Non : la négation parle un langage ouvriériste : les prolétaires seraient les seules victimes et les seuls héros de l'histoire récente : ou antitotalitaire : tout ce qui différencie Staline et Hitler est suspect, et quand elle dresse un réquisitoire contre les Juifs, ce n'est pas en invoquant la pureté de la race, c'est au nom des "vrais" maudits. La négation du génocide : cette affaire, si périphérique et si conjoncturelle en apparence, met en jeu des valeurs, des modes de pensée et des habitudes de discours qui la situent, en fait, au coeur de notre culture. |