"Dans le fer, dans l'acier, glacé, dur et muet
Forge un cœur et qu'il soit le tien, homme, et viens !
Viens dans la ville du massacre, il te faut voir
Avec tes yeux, éprouver de tes propres mains
Sur les grillages, les piquets, les portes et les murs,
Sur le pavé des rues, sur la pierre et le bois,
L'empreinte brune et desséchée du sang, de la cervelle,
Empreinte de tes frères, de leurs têtes, de leurs gorges.
Il te faut t'égarer au milieu des décombres,
Parmi les murs béants, leurs portes convulsées,
Parmi les poêles défoncés, les moitiés des chambres,
Les pierres noires dénudées, les briques à demi brûlées
Où la hache, le feu, le fer, sauvagement
Ont dansé hier en cadence à leurs noces de sang.
Et rampe parmi les greniers, parmi les toitures crevées,
Regarde bien, regarde à travers chaque brèche d'ombre
Car ce sont là des plaies vives, ouvertes, sombres
Et qui n'attendent plus du monde que la guérison".
Haïm-Nahman Bialik, La ville du massacre, 1903
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